L’une des originalités du rapport Attali est d’adopter des objectifs démographiques explicites en proposant d’abord d’encourager la mobilité internationale des Français, ensuite d’élargir et favoriser la venue des travailleurs étrangers ; et enfin d’agir pour que l’écart d’espérance de vie entre les plus favorisés et les plus défavorisés soit réduit d’un an d’ici 2012. La France a, certes, une riche tradition de passion pour la chose démographique ; mais cette passion a cristallisé depuis si longtemps qu’elle est devenue stéréotypée à l’extrême, tant sur le plan des idées que sur le plan des préconisations politiques. Il est devenu rare de trouver dans un rapport public une idée de politique en matière démographique qui sorte des sentiers battus.
Que ce soit le cas dans le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française est une contribution précieuse au débat public. Mais ce n’est pas pur hasard : parmi les membres de l’équipe réunie par Jacques Attali figure Hervé Le Bras, dont toute la réflexion pousse à remettre en cause la sagesse conventionnelle de l’idéologie démographique française. C’est ce conservatisme démographique que font voler en éclats les quatre essais d’Hervé Le Bras sur la population actuelle de la France que publie En temps réel.
Pour contrer les idées reçues, il ne suffit pas d’affirmer des idées originales, il faut déployer une méthode. Le lecteur trouvera ici une extraordinaire occasion de suivre, comme dans un roman de police scientifique, le démographe dans son laboratoire : « la population avec des si » l’initie à la méthode de la « counterfactual history » ; l’essai sur la l’émigration française l’emmène dans l’atelier de production des chiffres, pour démonter le moteur à analyser les flux migratoires – et en montrer les incohérences.
Parmi les démonstrations qui ne peuvent pas ne pas remettre en question la vision que se forme la France de sa population, de son avenir, et des politiques à mener, l’une des plus frappantes est précisément celle portant sur l’émigration française. Hervé Le Bras démontre, au terme d’une enquête passionnante, que le nombre de français à l’étranger s’est sans doute accru de 50.000 personnes par an entre 1993 et 2002. Ce point aveugle de la vision qu’a la France de ses flux migratoires est le symptôme d’un étonnant obstacle à la pensée scientifique : comment diable pourrions-nous être terre d’émigration ?
Seconde surprise : oui, nous vieillissons, mais nous sommes plus longtemps en bonne santé. Et la part des personnes en état d’incapacité baisse. Il nous faut revoir l’idée que nous nous faisons de la vieillesse, et, avec elle, bien des politiques publiques sur le lien mécanique entre vieillissement et dépendance.
Troisième surprise : la fécondité, comme la mesure son « indice conjoncturel », varie dans le temps, sans qu’il soit facile d’en interpréter les fluctuations ; le mystère s’éclaircit pourtant pour peu que l’on veuille bien prendre en compte l’âge auquel les femmes ont leurs enfants.
En Temps Réel conseille au lecteur que ce cahier aura mis en appétit de se plonger dans le livre « Les quatre mystères de la population française » publié par Hervé Le Bras en avril 2007 chez Odile Jacob ; il y trouvera le plein développement de certaines des idées de ce cahier, ainsi que de nombreuses autres réflexions.