Quelles qu’en soient les conséquences, la guerre en Irak constitue d’ores et déjà une épreuve douloureuse pour l’Europe. Comme cela fut le cas pendant la première guerre des Balkans en 1991, un conflit majeur s’est déclaré au moment où l’Europe cherche à se doter d’une identité politique propre. En 1991, le premier conflit des Balkans coïncide avec la négociation du Traité de Maastricht. En 2003, la guerre en Irak s’engage au moment où l’Europe délibère pour se doter d’une véritable Constitution politique.
Cette fois le problème se révèle bien plus délicat car le champ des divisions européennes s’est élargi aux membres qui rejoindront l’Union Européenne en 2004. D’où l’importance de la question de savoir si l’Europe pourra politiquement survivre à son élargissement.
Pour répondre à cette question, il faut s’en donner les moyens. Et à cette fin, il faut essayer de comprendre le point de vue des pays qui intégreront l’Europe l’année prochaine. En France, celui-ci est mal connu et très souvent mal perçu.
L’élargissement accepté jusque-là du bout des lèvres par l’opinion française pour des raisons économiques, financières et migratoires risque fort de se conjuguer à la crainte de voir les «nouveaux entrants» se comporter en cheval de Troie de l’Amérique. Il est vrai que l’attitude brutale des États-Unis, qui masque mal leur volonté de diviser l’Europe, n’est pas de nature à atténuer cette crainte.
Mais, au-delà de la conjoncture immédiate, un fait s’impose : l’élargissement est source de problèmes et de tensions avant même d’avoir eu lieu.
Il est en train de se faire sur la base de malentendus entre l’Est et l’Ouest qui se renforcent mutuellement. Chacun renvoie à l’autre ses propres peurs. Ces peurs en miroir sont au nombre de trois. Sur le plan stratégique, beaucoup craignent à l’Ouest que l’élargissement porte un coup fatal aux laborieuses tentatives de construction d’une politique européenne. Mais, à l’Est, la peur est symétrique: on craint que l’émergence d’un noyau dur ne cherche à les exclure du jeu avant qu’ils n’y entrent.