EN TEMPS RÉEL a placé la question complexe du lien entre valeurs marchandes et non marchandes au cœur de sa démarche et de ses projets. Dans son dernier cahier c’est l’articulation du rapport entre culture et marché qui avait été posée.
Le texte qui suit est naturellement consacré à un tout autre sujet : l’économie du football français. Mais l’interrogation est du même ordre : comment faire en sorte que des activités – qui ne sont pas au départ des valeurs marchandes – comme le sport, puissent tirer avantage de la logique de marché et participer ainsi à l’enrichissement collectif, sans pour autant perdre leur spécificité. Autrement dit, comment faire en sorte que le football continue à être une activité sportive pleine et entière tout en prospérant dans une économie marchande? Au moment où les droits audiovisuels de ce sport font l’objet d’une intense convoitise des télévisions payantes, EN TEMPS RÉEL a souhaité éclairer le débat.
Les ressources financières des clubs français de football professionnel alimentent un secteur économique à part entière avec un chiffre d’affaires cumulé, hors transferts, des clubs de Ligue 1 de plus de 650 M€ par an. Pourtant nos clubs affichent des résultats financiers négatifs -151 M€ de déficit cumulé pour la Ligue 1 en 2002- qui les placent parmi les moins rentables d’Europe, avec les clubs italiens.
Ce manque de rentabilité est lié notamment à des contraintes réglementaires qui obligent les clubs professionnels à subventionner les clubs amateurs, les grands clubs à financer les plus petits, et qui imposent une fiscalité et des charges sur les salaires interdisant à la Ligue 1 d’attirer les meilleurs joueurs européens.
Le cadre réglementaire français doit donc évoluer. Des études sont en cours pour moderniser la fiscalité des footballeurs professionnels et clarifier la réglementation sur les transferts. En revanche, certaines contraintes réglementaires perdureront : soit faute d’un accord improbable sur la création d’un organe de régulation économique des clubs de football professionnels au niveau européen ; soit parce qu’elles renvoient à des données de base de la société française, comme le poids des prélèvements obligatoires, et qu’une exception en ce domaine pour le football serait indéfendable, moralement et politiquement.
Les auteurs du présent cahier montrent que nos clubs professionnels pourraient, sans attendre ces évolutions, restaurer leur rentabilité en optimisant leur gestion. Ils souffrent en effet de trois déficits principaux : un sous développement des recettes de billetterie, un faible niveau de revenus de sponsoring et une masse salariale excessive. Trois principales mesures pourraient selon eux pallier ces carences :
- L’accroissement de la capacité de certains stades et le développement d’infrastructures complémentaires de loisirs, financés grâce au recours à la titrisation ;
- Une professionnalisation accrue des politiques de sponsoring des clubs, fondées, notamment pour les clubs régionaux, sur un plus fort ancrage local.
- Enfin, la mise en place d’un plafonnement de la masse salariale (salary cap)
Selon leur analyse, la mise en œuvre de ces trois propositions serait de nature à restaurer durablement la rentabilité de l’ensemble des clubs de Ligue 1, quelle que soit leur taille ou leur réussite sportive. Une étude portant sur les clubs de Marseille, Lille et Montpellier leur a permis de valider l’impact économique de ces mesures
Enfin, les auteurs soulignent que les projets de réformes les plus libérales ne sont pas nécessairement ceux qui maximisent la valeur économique du football français. Le maintien d’un championnat ouvert et d’une forte régulation sont plus que jamais nécessaires, si celle si s’attache à renforcer l’attractivité du football professionnel en préservant l’intérêt sportif – et donc la noble incertitude – des compétitions.
Un nouveau « contrat social » pour le football français, fidèle aux traditions de ce sport leur apparaît donc la voie nécessaire et réaliste pour permettre au football français de se moderniser sans perdre son âme.