Depuis octobre 2010, le thème de la guerre des changes a envahi le débat public. C’est en fait principalement du Yuan qu’il s’agit, les débats portant sur d’autres monnaies étant pour la plupart à situer par rapport à celui concernant la devise chinoise. La focalisation sur la question d’éventuelles règles du jeu à définir pour réguler l’ampleur des déficits commerciaux le montre bien.
En Temps Réel se réjouit de publier dans ce contexte la mise en perspective de la stratégie chinoise que propose Jean-François Di Meglio. Banquier et universitaire, il connaît en profondeur la manière dont la Chine aborde la question de sa devise, et en propose une grille de lecture originale et convaincante. Elle repose sur deux piliers fondamentaux : la compréhension des déterminants fondamentaux, ancrés dans l’histoire longue, de la politique de la Chine en la matière ; l’analyse des évolutions récentes de sa mise en œuvre, marquées par une volonté de choisir souverainement la voie qui conviendra le mieux au pays, quelles que puissent être les pressions pour l’amener à adopter telle quelle la règle du jeu la plus communément admise, de devises pleinement convertibles aux changes librement flottants.
Jean-François Di Meglio montre que le débat académique chinois a, de longue date, exploré diverses alternatives possibles ; il met en lumière la manière dont ont été esquissées des solutions partielles permettant une internationalisation limitée de la devise chinoise (accords de swaps avec des pays dont la Chine dépend pour certaines importations vitales ; création d’une forme restreinte de convertibilité à partir de Hong Kong) ; il éclaire la manière dont des responsables chinois ont, à diverses occasions, lancé des ballons d’essai permettant de tester les réactions à telle ou telle inflexion de leur politique, et aussi dont ils ont agi, parfois tout à fait unilatéralement, pour prendre date (achats d’obligations d’Etat coréennes et japonaises).
Ce qui semble s’esquisser est une construction originale, bien loin du système de Bretton Woods ou de celui des changes flottants, une construction dans laquelle la devise chinoise connaîtrait une convertibilité limitée et contrôlée, gérée au plus près des intérêts du pays, contribuant à donner corps à une zone d’influence de la Chine tout en la maintenant à l’abri des grandes secousses monétaires et financières du système financier international qu’elle a su jusqu’ici éviter. Cette « troisième voie » ne s’embarrasse pas de visées théoriques globales ; elle s’ajuste pragmatiquement, aux yeux des dirigeants chinois, aux contraintes de l’heure, en analysant, étape après étape, les avantages et les coûts des différentes options possibles.
En Temps Réel espère que les lecteurs trouveront dans ce cahier des outils de compréhension durables des négociations en cours, au delà de la tonalité belliqueuse et simplificatrice des commentaires les plus fréquents.