Quoi de plus rébarbatif, à première vue, que la comptabilité ? Fonction administrative honnie dans les entreprises, elle apparaît comme le domaine d’experts effacés qui, par comparaison, feraient presque les notaires une profession flamboyante. Beaucoup d’observateurs de l’économie n’en ont d’expérience qu’à travers les rapports annuels des entreprises, où les états financiers sont la section en petits caractères dont le lecteur s’épargne généralement la lecture pour se concentrer sur l’exposé de la stratégie ou le récit des événements majeurs de l’année. Et dans ce monde grisâtre de l’information financière brute, les données elles-mêmes retiennent certainement plus l’attention que les normes qui président à leur élaboration.
Pourtant, les normes comptables sont une infrastructure essentielle du capitalisme, et leur processus d’élaboration est un enjeu majeur. C’est une des leçons de l’incroyable faillite d’Enron. Les enjeux de la normalisation comptable méritent d’être découverts ou redécouverts par tous les observateurs et tous les acteurs de la vie publique. Nous sommes en effet convaincus que le système de gouvernance corporatiste qui caractérise ce domaine, peu soumis au contrôle des autorités politiques démocratiquement élues, rend indispensable un élargissement du débat.
Abandonnée à un petit nombre de professionnels hyperspécialisés, la normalisation comptable est un facteur de risque pour l’économie de marché ; observée et débattue par de nombreux acteurs, elle peut en être au contraire un efficace outil de régulation.