Après tant d’années de débats sur la réforme des retraites, comment ne pas être étonné de ce que la protection sociale continue de passer pour irréformable, que des éléments essentiels du débat restent méconnus et que les solutions proposées manquent si souvent de cohérence ?
En Temps Réel est heureux de contribuer aux réflexions en cours en ces semaines décisives de septembre 2010 en y introduisant les réflexions croisées, pratiques et stratégiques, de Dominique Libault et René Sève. Ces auteurs parlent depuis des lieux différents et avec des perspectives nécessairement différentes. Pourtant indépendants, leur propos convergent sur trois éléments essentiels au débat actuel.
D’abord, le refus du catastrophisme. L’état des lieux du système de protection sociale dressé par Dominique Libault au début de ce Cahier permet notamment de prendre la mesure de la force et de l’équité globales du système actuel. Il montre la diversité des partenariats qui ont su être noués à l’intérieur de l’administration pour aborder l’enjeu de la protection de façon toujours plus réactive et globale. Il assure aussi que la générosité du modèle français autorise des adaptations qui ne remettraient pas en cause ses principes fondamentaux. Ainsi des retraites où notre dynamisme démographique permettrait éventuellement de pérenniser notre système par répartition solidaire et équitable.
Pour autant, les deux auteurs soulignent l’importance qu’il y a à mener les réformes aujourd’hui. Certaines restent internes à l’administration, comme pourrait l’être le rattachement de la Direction de la sécurité sociale au Ministère de la santé. D’autres sont largement débattues publiquement. Alors que le RSA jeune est instauré ce 1er septembre, Dominique Libault rappelle par exemple que le RSA est bien adapté à la situation des travailleurs pauvres et travaillant peu mais que son illimitation de principe pourrait créer un risque social conséquent. Au-delà des quelques années nécessaires à ce qu’il 3 atteigne son rythme de croisière, il faudra donc probablement en limiter l’application dans le temps. Les deux auteurs sont en outre convaincus que la progression significative de l’emploi des seniors passera par un recul de l’âge légal du départ à la retraite. Ici comme sur d’autres points traités dans ce Cahiers, les auteurs considèrent que l’urgence fait que les réformes envisagées ne peuvent plus être affadies par crainte de l’enjeu.
Enfin, les auteurs s’accordent sur la nécessité de rendre les réformes engagées beaucoup plus cohérentes. C’est le point essentiel de leur propos. Comme le souligne longuement René Sève, le cloisonnement des politiques publiques les a progressivement rendues sous-optimales globalement. C’est notamment l’enjeu, au-delà de notre politique familiale, en matière d’éducation et d’emploi où les réformes doivent se fonder sur une perception globale du cycle de vie. Le contexte actuel de contraintes sur les finances publiques et d’amélioration des connaissances technologiques conduit René Sève à insister sur quatre leviers déterminants. En matière de famille, où les dispositifs de congé parental mixés avec l’offre d’accueil de la petite enfance se révèlent déterminants, il préconise de s’attacher à trouver un optimum entre le soutien aux naissances, l’activité professionnelle des parents et la réussite scolaire des enfants. Quant au marché de l’emploi, il privilégie la réforme de la formation professionnelle car les lacunes de cette dernières ont des conséquences sur les capacités productives de la France, sa spécialisation sectorielle et sa compétitivité internationale, notamment industrielle. S’il note des évolutions notables en matière de santé, il souhaite un allégement des contraintes pesant sur la présence physique sur le territoire et la prétendue rencontre des libertés du patient et du médecin. En matière fiscale enfin, il estime que l’optimisation de l’activité sur le cycle de vie commande à privilégier les incitations aux individus plutôt que le soutien indirect de secteurs économiques particuliers.
Ces orientations sont essentielles car elles permettraient d’améliorer un système satisfaisant et perfectible dans le sens d’une offre de protection sociale toujours plus globale et mieux adaptée à la réalité du cycle de vie. D’autres préconisations non évoquées ici seront naturellement discutées publiquement dans les jours à venir. En matière de retraite par exemple, quid de l’inégalité dans le traitement des retraités, du sort à réserver à la diversité des trajectoires professionnelles ou aux polypensionnés… Les auteurs ont moins vocation à être exhaustifs que méthodiques. Leur apport essentiel consiste à montrer que la cohérence de la réforme doit conduire à privilégier trois principes.
D’abord, la réforme doit être indexée de façon au moins partielle sur l’objectif de compétitivité, et incidemment sur le taux d’emploi qualifié de façon à assurer l’équité.
Ensuite, des signaux forts doivent être adressés aux comportements des individus et des entreprises de façon qu’ils limitent toujours davantage le recours superflu au système de solidarité. Le maintien de la vocation réparatrice des systèmes sociaux ne doit pas empêcher cette évolution, et celle-ci ne s’obtiendra que par un travail d’appropriation des valeurs collectives et de diminution des externalités négatives, sur lesquels la réforme ne saurait faire l’impasse.
Enfin, comme le préconise René Sève, il pourrait être utile de mettre bien davantage à profit les technologies de l’information et de la communication pour pallier les risques d’interdépendances. Les dernières évolutions de la recherche le permettent utilement désormais.
La mise en œuvre de ces principes diffère sans nul doute selon les auteurs, surtout lorsqu’il s’agit du recours aux technologies de l’information et aux enjeux induits de captation de données. René Sève privilégie de recourir massivement à l’intelligence 5 artificielle et, surtout, à la création de relations et de réseaux virtuels pour accroître la réactivité et l’adaptabilité, maîtriser les dépenses et réduire les externalités. Les ambitions des Dominique Libault sont ici très mesurées : elles consistent à favoriser la protection sociale, en tâchant surtout d’anticiper les événements à venir et d’éviter les trajectoires indésirables. Mais l’essentiel est ailleurs : les auteurs convergent sur le fait que la recherche de marges de progrès supplémentaires justifiant l’adaptation des mécanismes de solidarité ne conduit pas nécessairement à renoncer à cet objectif de solidarité. La réforme en cours pourrait même fonctionner comme une opportunité : la crise aide à mieux coordonner les calendriers.
L’aboutissement de la négociation sur les retraites jouera donc un rôle structurant. Comme le montre ce Cahier, elle doit être menée d’une manière enfin réellement coordonnée et cohérente. Sa pérennité et son équité sont à ce prix.