Pourquoi le libéralisme n’est pas le laissez faire.

Le libéralisme a bien mauvaise réputation. Il est identifié à une véritable doctrine, alors qu’il est avant tout une tradition politique. Il est également souvent purement et simplement assimilé à un processus de dérèglement économique et social, alors qu’il se veut fondamentalement régulateur. Et même lorsqu’il est vécu et intériorisé par des individus soucieux d’autonomie personnelle, il n’est que très rarement revendiqué en tant que tel.

 

Ce malentendu historique est puissamment entretenu en France pour des raisons aujourd’hui très clairement identifiées : surpuissance de l’Etat, volonté de soumettre tout le jeu politique et social au culte de la souveraineté populaire, méfiance profonde à l’égard de toutes les médiations qui, entre l’Etat et l’individu, renforcent la société civile. Pourtant, si la spécificité française est indéniable, on aurait tort de n’y voir qu’un nouvel avatar de l’exception française. Paradoxalement, l’effondrement du marxisme, doublé de l’intensification du processus de mondialisation, est singulièrement venu compliquer la tâche du libéralisme.

 

La première complication vient du fait qu’à partir du moment où le libéralisme n’est pas à proprement parler une doctrine politique rigide, elle donne lieu à d’innombrables bricolages qui rendent difficile l’identification à la tradition libérale. La recherche de l’autonomie personnelle, qui est une des principales marques de fabrique du libéralisme, est probablement la valeur la plus recherchée dans le monde. Mais elle peut coexister très aisément avec des valeurs qui n’ont rigoureusement rien de libéral. La référence libérale est d’autant plus fragmentée qu’elle n’est pas contrôlée.

 

La seconde résulte de la montée de valeurs antilibérales, y compris dans les pays à tradition libérale. Le néo-conservatisme américain qui se trouve désormais relayé au plan politique est une manifestation de cette évolution. Il suffit pour cela de voir combien les « libéraux » américains sont aujourd’hui sur la défensive. Lui font écho différentes formes de communautarisme qui s’approprient volontiers l’individualisme libéral mais rejettent profondément la référence à la tolérance et au pluralisme.

 

La troisième complication enfin provient de l’indiscutable assimilation du libéralisme au néolibéralisme économique perçu bien au-delà de l’Europe comme un processus de destruction des protections et des identités. Le fait que ce néo-libéralisme ne soit que très approximativement libéral joue paradoxalement contre le libéralisme. Il apparaît alors soit comme une « idéologie » incapable de mettre en œuvre les principes qu’elle prône, soit comme une sorte d’habillage destiné à recouvrir des mécanismes sociaux de domination. Il n’est pas sûr que l’évocation d’un monde plus authentiquement libéral soit une réponse audible à cette contradiction. C’est une des raisons pour lesquelles le débat sur le social-libéralisme en France est, dès le départ, rendu extrêmement difficile.

 

Le texte que Monique Canto-Sperber a bien voulu accepter de préparer pour EN TEMPS REEL présente une synthèse dense et claire de l’état actuel de la philosophie du libéralisme, et examine quelques questions d’actualité particulièrement significatives en y appliquant les principes ainsi dégagés. Il devrait aider à convaincre le lecteur que nous vivons bel et bien dans une société libérale mais que la reconnaissance de ce fait laisse une large place à des débats et à des options politiques très ouvertes.

L'auteur

Monique Canto-Sperber

Philosophe

Monique Canto-Sperber est philosophe. Elle est l’auteur de très nombreux ouvrages de philosophie morale et politique.