Parce qu’elle y a été confrontée plus tôt que les autres démocraties, la France est probablement celle qui a le moins mal pensé le défi terroriste. Telle est l’hypothèse centrale et forte de ce texte qui constitue sans doute la synthèse la plus complète et la plus fine sur le rapport juridique complexe entre terrorisme et libertés publiques. Confrontée au terrorisme moyen-oriental dès le milieu des années 80 la France a imaginé un dispositif anti-terroriste relativement sophistiqué dont les principales caractéristiques sont l’importance donnée au renseignement humain, la centralisation des procédures, la spécialisation des magistrats, l’octroi de délégations judiciaires à la DST pour toutes les enquêtes touchant au terrorisme islamique, la mise en place enfin d’un régime dérogatoire au droit commun. Ce dispositif n’a guère été affecté par le 11 septembre, de sorte que l’on peut dire qu’il existe bel et bien une matrice française de l’anti-terrorisme.
Pour autant, ce dispositif, comme tous les dispositifs anti-terroristes, reste fragile. Car dans l’hypothèse où la menace terroriste perdurerait, elle placerait toutes les démocraties dans une situation d’exception durable. Or dans ce domaine, aucune société n’est à l’abri d’un réflexe sécuritaire pouvant conduire à l’adoption, à des fins de « réconfort » de l’opinion, de mesures pouvant être très restrictives des libertés sans pour autant être efficaces. On le voit aux Etats-Unis où le Patriot Act comme le Homeland Security Act ont réduit les libertés publiques, mais également en Grande Bretagne où la Cour d’appel de Londres a, en août 2004, accepté de reconnaître une valeur juridique aux preuves obtenues sous la torture.
En France, il n’y a pas d’atteintes flagrantes aux libertés publiques. Mais les risques existeront toujours. D’autant qu’au-delà des atteintes formelles aux libertés, s’ajoutent potentiellement toutes les stigmatisations ethniques ou raciales que des lois peuvent toujours contenir mais jamais faire disparaître.
D’où la question de savoir comment des démocraties peuvent se prémunir sur le long terme contre le terrorisme et réconforter leurs populations sans se détruire de l’intérieur en mettant en place des « états d’exception ».
Pour répondre à cette question, Julien Cantegreil sort alors du cadre français pour nous restituer les grands débats internationaux engagés depuis le 11 septembre.
L’expérience française et étrangère conduit ainsi à voir dans le terrorisme une situation qui, pouvant conduire la justice constitutionnelle à faire de facto allégeance à l’exécutif, peut nécessiter que soient définies des règles permettant de reconnaître des situations d’exception sans pour autant abandonner les protections que donne le contrôle de la constitutionnalité.
Ceci ne conduit donc pas à nier la nécessité de recourir, dans certains cas, à des situations d’exception mais conditionne cet accord à un encadrement législatif strict et « glissant » : plus l’état d’exception se prolongerait, plus les majorités qualifiées pour le maintenir deviendraient difficiles à obtenir. Il doit alors être possible de concilier le principe de « réconfort » avec les objectifs de sécurité et de respect des libertés publiques.