La discussion serrée qui oppose, dans les pages de ce Cahier, deux éminents connaisseurs des questions européennes, Renaud Dehousse et Olivier Duhamel, ne porte pas sur l’opportunité d’approuver ou de rejeter le Traité constitutionnel, mais davantage sur l’importance de ce texte et de sa nouveau et donc sur son opportunité politique.
Pour Renaud Dehousse, ce nouvel édifice n’introduit aucune innovation majeure et donc aucun saut qualitatif dans la construction politique de l’Europe. Il reproche ainsi implicitement aux «conventionnels» comme aux États d’avoir «survendu» le thème de la nouveauté, quitte à soulever des oppositions que ce texte ne mérite peut-être pas. C’est cette absence de véritable percée qui contraint d’ailleurs à ses yeux les partisans du oui à tenir un discours purement défensif. Son jugement est donc sévère, d’autant qu’à ses yeux les maîtres d’oeuvre de cette Constitution ne sont ni le Parlement Européen ni les peuples d’Europe, mais les Etats. Il rejoint ainsi le point de vue de ceux pour qui ce texte consacre une philosophie britannique de la construction européenne.
Beaucoup de bruit, donc, pour presque rien, nous dit Renaud Dehousse, à ceci près qu’en voulant transformer un texte d’étape en moment fondateur, les États européens ont pris le risque redoutable de stimuler l’euroscepticisme et de susciter un débat tronqué, ce qui, convenons-en, n’était pas leur objectif initial.
Olivier Duhamel, qui a pour avantage d’avoir participé activement aux travaux de la Convention Européenne, ne partage pas ce point de vue. Mais son propos n’est pas ici celui d’un juriste qui, par culture ou formation, serait très sensible aux dimensions institutionnelles du jeu européen. C’est celui d’un analyste politique pour qui le premier mérite de ce texte est de montrer que la dynamique politique de l’Europe n’est pas réductible à un jeu à somme nulle entre fédéralistes et intergouvernementalistes qu’il qualifie de «conseillistes» au sens où ils privilégient les pouvoirs du Conseil Européen. Chacun y trouve, selon lui, son compte. C’est la raison pour laquelle il refuse de voir dans ce texte la victoire des Etats sur les autres acteurs du jeu européen. S’il fallait désigner un vainqueur, il aurait tendance à regarder du côté du Parlement Européen.
Son autre point de divergence avec Renaud Dehousse porte sur l’opportunité de cette démarche constitutionnelle. Pour lui, le «patriotisme institutionnel» européen est une des modalités de l’identité européenne et le fait que ce texte soit signé par les Etats – comme un simple Traité – n’enlève rien à son caractère constitutionnel. Matériellement, le Traité fixe les modalités d’organisation du pouvoir en Europe. Formellement, il répond aux exigences d’une Constitution en tant que loi suprême. Substantiellement enfin, il définit les contours d’une communauté politique partageant des valeurs communes.