De l’ordre global à la justice globale : vers une politique mondiale de régulation (I).

L’aide publique française au développement est appelée à évoluer. Un contexte de ressources publiques durablement limitées conduit à redéfinir nos priorités et l’apparition de nouveaux acteurs à modifier le périmètre de notre action. Au même moment, certaines des finalités communément adoptées ont évolué comme en témoigne l’apparition du principe d’« égalité des chances » dans le Rapport 2006 de la Banque mondiale sur le développement dans le monde. La profondeur de ces évolutions nécessitait une réflexion de fond. La concomitance de la crise alimentaire et du chantier de revue générale des politiques publiques la rendaient urgente.

 

En Temps Réel se réjouit que Jean-Michel Severino, président de l’Agence française pour le développement, et Olivier Charnoz, qui y travaille à ses côtés et est chercheur à la London School of Economics, aient accepté de relever ce défi en ces mois décisifs.

 

Comment l’aide publique au développement peut-elle contribuer durablement à l’« ordre juste global » ? Pour y répondre, le présent Cahier propose de sortir résolument des ornières du « Consensus de Washington ». Un second Cahier donnera à Jean-Michel Severino et Olivier Charnoz l’occasion d’en tirer des conclusions normatives et opérationnelles sur la gouvernance mondiale.

 

Dans une démarche d’abord critique, Jean-Michel Severino et Olivier Charnoz proposent de sortir de l’antinomie stérilisante entre « ordre juste global » et « marché ». Non seulement la mondialisation a développé de longue date des principes d’« ordre », mais leur analyse des externalités dues à l’insertion de pays aux marchés intérieurs imparfaits dans le marché mondial souligne que dynamique libérale et développement s’interpénètrent : le développement appelle à développer le marché (distribution de droits de propriété) tout en l’encadrant par des politiques publiques (assurance, redistribution). Le fonctionnement durable des marchés nécessite de les inscrire dans un ordre à la fois social et politique : un « ordre juste global ». Il a fallu du temps pour que l’économie libérale devienne durable au sein des Etats Nations. Il en faudra plus encore pour que la société globale offre de réelles garanties de confiance, un sentiment de justice partagé et un environnement durable. Mais pour les auteurs, l’essentiel reste à ce stade de sortir de la problématique exclusive du marché qui empêche d’identifier les formes d’ordre et de justice requises par la mondialisation.

 

Jean-Michel Severino et Olivier Charnoz proposent ensuite une analyse inédite de la mondialisation, qu’ils voient comme un phénomène parcouru par quatre types d’interactions : la « foule », lieu de l’émotion collective ; l’« arène », lieu des rapports de force ; le « forum », lieu du débat et le « contrat ». Cette lecture de la mondialisation les conduit à proposer deux distinctions supplémentaires. D’une part, une distinction selon les bénéficiaires des actions menées : la réponse « tiers-mondiste » se fonde sur le respect des souverainetés et des responsabilités nationales ; la réponse « cosmopolitique » se fonde sur les droits individuels et les individus, et enfin la réponse « planétaire » prend l’humanité comme principe ultime. D’autre part, une distinction selon la finalité des actions menées : vouloir relever des « défis justes » ou bien instituer des « procédures justes », par exemple en donnant priorité à l’égale distribution des ressources (compensations), au mérite (assurance) ou aux besoins (distribution). Ces nouvelles distinctions permettent aux auteurs de définir six paradigmes analytiquement distincts de la régulation globale. Loin du paradigme du marché, ils constituent le socle de leur réflexion à venir. Ils présideront aux recommandations opérationnelles que nous livreront Jean-Michel Severino et Olivier Charnoz dans leur second Cahier, qui sera publié à l’automne 2008.

Les auteurs

Jean-Michel Severino

Directeur général de l’Agence Française de Développement (AFD)

Jean-Michel Severino est le directeur général de l’Agence Française de Développement (AFD). Inspecteur général des Finances, il a été précédemment directeur du développement au ministère de la Coopération, puis vice président de la Banque mondiale en charge de l’Asie.

Olivier Charnoz

Professeur Adjoint de Finance à New York University

Olivier Charnoz a été conseiller auprès de lui entre 2002 et 2007. Il est aujourd’hui chercheur de l’AFD, basé au Centre d’Etude de la Gouvernance Mondiale de la London School of Economics.